«De l’argent pour le cinéma, il y en a plein en Suisse. Encore faut-il savoir l’obtenir.» Réalisatrice de documentaires indépendante, Lucienne Lanaz, 87 ans, a une longue expérience en matière de levée de fonds pour financer des projets. De sa base de Grandval (BE) près de Moutier, elle a réalisé 30 courts et longs-métrages qu’elle a produits elle-même.
Ses films sont des petites perles d’humanisme. Quelques-uns ont été projetés dans des cinémas et diffusés sur les chaînes de télévision de la SSR dans les trois régions linguistiques.
Et il en faut, du courage et de la détermination, pour se hisser à ce niveau. Et cela ne va pas sans renoncements et sacrifices. Née à Zurich avant la Seconde Guerre mondiale, elle se voyait, au mieux, bijoutière. Mais elle a acquis des compétences de gestion à une époque (la fin des années 1950 et les années 1960) où le monde du travail cantonnait les femmes dans des tâches d’exécution. Ce n’est que bien plus tard qu’elle s’initie au cinéma, en compagnie de Marcel Leiser, un fou du 7e art.
Elle apprend à monter un projet de film, notamment son aspect financier. Mais aussi, et surtout, «à faire juste», comme elle le dit. C’est-à-dire, toucher la sensibilité du public par la force et la pertinence de son regard fixé sur la pellicule (et des supports techniques qui ont suivi).
Un demi-million
«Réaliser un film, ce sont au moins trois personnes en plus du réalisateur: une personne à la caméra, un ingénieur du son et une personne responsable de la lumière.» Le budget? Entre 400 000 et 500 000 fr. pour un film d’une heure trente qui sera diffusé à la télévision. «Évidemment, si votre nom est connu, vous pouvez obtenir des budgets bien plus élevés.»
L’argent ne fait donc pas défaut en Suisse, notamment parmi la myriade d’institutions publiques et privées dévolues à cette vocation. Encore faut-il sonner aux bonnes portes et se montrer persévérant. «Si on vous refuse une demande de financement, reformulez-la. Par automatisme, une fondation, ou toute autre organisation spécialisée dans le financement de projet cinématographique, répond par la négative aux milliers de demandes qui leur sont adressées. Il faut donc compléter le dossier, par exemple en faisant des descriptions plus précises et en glissant davantage de photos, et le renvoyer. Ce que ces organes veulent, c’est que vous fassiez preuve d’opiniâtreté et de détermination.» Mais cela ne fonctionne pas toujours. «La Confédération ne donne rien si vous n’êtes pas inscrit au Registre du commerce, qui est la preuve, à ses yeux, que vous êtes professionnel.» l’office fédéral de la culture continue cette pratique. De même, la RTS «ne diffuse que les productions qu’elle a coproduites» alors que la SRF lui a acheté des films.
Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir essayé d’obtenir des soutiens à la Tour genevoise. «A plusieurs reprises, je lui ai proposé de coproduire mes films. Cela n’a jamais fonctionné.»
Un échange de correspondance souligne cette relation difficile. Fin 2023, elle (re)demande si le service public veut bien de ses films. Réponse de la directrice du département Société & culture: «Malgré l’intérêt des différents sujets abordés dans vos documentaires, nous ne sommes pas intéressés par ceux-ci car ils ne répondent pas aux attentes de nos cases et de leurs standards de qualité sur le plan de la réalisation.» Pour Lucienne Lanaz, cette réponse est un mélange «d’indifférence, d’arrogance et d’absence de considération pour le travail». La RTS n’infirme ni ne dément. Elle indique qu’elle a diffusé deux films en 2004.
Jobs parallèles
Le cinéma n’a toutefois pas toujours nourri notre cinéaste. Elle a eu d’autres jobs, principalement dans le secrétariat, entre Zurich, Berne et Genève. Par ailleurs, elle dit avoir renoncé à une carrière de programmeuse lors des tout premiers temps de l’informatique d’entreprise, ainsi qu’à une offre de formation à la gestion des affaires aux Etats-Unis lorsqu’elle travaillait pour la multinationale pharmaceutique Pfizer.
Pourquoi ces renoncements? «Parce que le travail de bureau ne m’intéresse pas et que je ne voulais pas finir dans une cage dorée.» Et pourquoi ne pas s’inscrire au Registre du commerce afin de faciliter ses demandes de financement à l’Office fédéral de la culture? «Parce que je ne veux pas me plier à cette contrainte pour une Confédération qui dira de toute façon „non“.» Un projet de vie, ça peut tenir à ce genre de certitude.