A la lecture de son certificat de prévoyance, un lecteur s’étonne: «la partie obligatoire a déjà passé sous les 6,8% depuis 2022. Elle est à 5,9% pour les personnes qui prennent leur retraite cette année.» Son étonnement est légitime: la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) prévoit que la partie obligatoire de l’avoir de vieillesse doit être convertie au taux de 6,8%.
Cela signifie que si votre avoir obligatoire se monte à 100 000 fr. et que vous partez à la retraite cette année à l’âge de 65 ans, votre rente annuelle doit se monter à 6800 fr. au moins, cette somme représentant 6,8% du montant de 100 000 fr. Aussi, convertir un avoir de retraite en dessous de ce chiffre a toutes les apparences de l’illégalité. Qu’en est-il pour de vrai?
Baisse des rentes
Notre lecteur est affilié à Swisslife Business Protect. Cette solution fait partie de la fondation collective LPP Swisslife, la plus grande compagnie d’assurance-vie de Suisse. En contrepartie du paiement des primes, l’assureur garantit à la fondation collective une couverture complète et permanente des engagements. Le mécanisme est similaire auprès des autres assurances dites complètes, à commencer par Pax, Baloise, Allianz et Axa.
Admettons que son avoir de retraite total soit de 400 000 fr., un peu en dessus de la moyenne. Pour rester dans le standard, admettons aussi que son avoir obligatoire se monte à 60% de son avoir total, dont à 240 000 fr., et la part surobligatoire à 40% du total, donc à 160 000 fr. (voir le graphique ci-dessus). Cela signifie que sa rente annuelle, calculée sur son avoir obligatoire, devrait être de 16 320 fr. (240 000 x 6,8%). Or, avec le taux de conversion de son assurance de 5,9%, elle ne sera que de 14 140 fr. (240 000 x 5,9%). Il manque par conséquent 2180 fr. de rente annuelle pour que la loi soit respectée.
Par chance, son avoir surobligatoire est converti, dit l’assurance, à 4,4855%. Celle-ci lui vaudra donc une rente annuelle de 7177 fr. (160 000 x 4,4855%) qui s’ajoutera à sa rente obligatoire. L’addition des deux rentes donnera un total de 21 377 fr. Comme cette somme est supérieure aux 16 320 fr. qu’il devrait recevoir si son avoir obligatoire avait été converti à 6,8%, la loi est réputée respectée (lire aussi Mon Argent n°2 / 2023: «Dumping sur les retraites avant l’heure»).
Mais pour que la rente de Swisslife respecte le minimum légal, il a donc fallu prélever la différence sur l’avoir surobligatoire. Ce dernier s’en trouve par conséquent réduit. La rente qu’il sert désormais n’est plus de 7177 fr., mais de 5017 fr., pour servir une rente totale de 21 377 fr. Le capital de 160 000 fr. n’est donc plus converti à 4,4855% comme le dit l’assurance, mais à, 3,1355% (160 000 / 5017).
Et si l’on pousse les calculs jusqu’au bout, prenons le capital total de 400 000 fr. La rente annuelle totale est de 21 377 fr. Aussi, le taux de conversion de l’ensemble est de 5,34%.
Comparaison difficile
Les assureurs nomment leur pratique «méthode de l’imputation». Elle est présentée par les assureurs comme celle qui affiche les vrais taux de conversion et empêche les subventions croisées entre les avoirs obligatoires et les avoirs surobligatoires.
Mais elle empêche une comparaison avec les rentes servies par les institutions de prévoyance qui appliquent le taux de conversion légal de 6,8% et un taux de conversion surobligatoire. Certaines caisses parviennent à appliquer un taux de 6,8% pour l’obligatoire et le surobligatoire, mais la plupart appliquent un taux de conversion surobligatoire inférieur (lire «La prévoyance ne remplit pas ses promesses»).
En pratiquant la méthode d’imputation plutôt que d’employer celle des autres institutions de prévoyance, les assureurs ne se montrent pas plus généreux que les autres caisses de pension. Ils évitent d’afficher des taux de conversion surobligatoire si bas qu’ils décourageraient de nouveaux affiliés potentiels à conclure des contrats de prévoyance avec eux.
Et ils évitent aussi de décourager leurs assurés ayant constitué de gros avoirs surobligatoires (grâce, notamment, à leurs revenus élevés et des plans de prévoyance généreux) une sévère déception face à la modestie de la rente que cet avoir leur permet de toucher.
Obligatoire et surobligatoire
Les prestations obligatoires résultent des minima légaux: cotisations et rémunération des avoirs. Dans la moyenne, elles correspondent à 60% de l’avoir de vieillesse. C’est aux prestations obligatoires que s’applique le taux de conversion de 6,8%.
Les prestations surobligatoires résultent des cotisations payées en plus et du surcroît de rémunération des avoirs en plus du taux minimal. Ces avoirs avoisinent en général 40% de l’avoir de vieillesse. Ils peuvent être convertis en rente à un taux inférieur.
Nombre de caisses ne publient pas le taux de conversion différencié entre l’obligatoire et le surobligatoire. Elles publient un taux dit «enveloppant», qui fait la moyenne entre les deux. Ce taux est généralement inférieur au minimum légal de 6,8% mais reste légal puisque les avoirs minimaux sont convertis, eux, à 6,8%.